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Les voix de l'immobile

Carnets de poèmes, de paroles et de voyages intérieurs du centre pénitentiaire de Maubeuge

L'ESPRIT DU RHUM

L'ESPRIT DU RHUM

L’ESPRIT

DU RHUM

 

Un soir l’esprit du rhum dansait dans mon verre, il tournoyait, valsait, salsait… Dans la religion vaudou, le rhum blanc est de l’âme liquide. Bien que ce liquide qui se dodelinait dans mon godet fût ambré, je réfléchissais sur la couleur de l’âme, en me disant que cela n’avait bien peu d’importance. Peu importe la couleur, tant qu’on ait l’ivresse. Telle une Lola Rastaquouère, la guildive m’hypnotisait de sa chorégraphie hypnagogique et ce qui ce pensait impensable se passa : elle me parla.

 

Elle chuchotait, de sa voix voluptueuse, veloutée, mais suffisamment puissante pour que ses mots se déchargent dans ma tête. L’esprit des anciens me parlait, leurs mots parfois empreints de sanglots, parfois de rires, parfois de banalités qui sont l’ordinaire d’une existence elles aussi. Ces âmes me semblaient familières, bien qu’elles ne fussent que des totales inconnues. Je me sentais en confiance, un tantinet anesthésié par les éthers de mon verre. Je les invitais à s’asseoir dans les sofas de ma mémoire. Elles en avaient des choses à me dire, à raconter. Les auras des anciens brillaient, leur chaleur était mienne, en parfaite osmose des 46 degrés du nectar doré qui continuait ses cabrioles sans que cela ne m’affole.

 

Tout le monde me parlait en même temps, j’adorais cette confusion, ce melting pot de mots, de phrases, d’éclats de vie qui ont créé des angles dans ma tête, des prises, de conscience peut-être… L’odeur de leur peau cuprifère rappelait à mon verre, à mes vers, je mordais à l’hameçon tout en me noyant avec délice. Leurs mots devenaient lourds comme mes membres, leurs phrases pesantes comme mes paupières. Nous nous préparions à un voyage cotonneux, ouaté, confortable comme une cabine de l’Orient-Express, où certaines odeurs de vieux bois, de cuir et d’encens devaient évoquer les quelques centilitres de mon compagnon d’errance éthérée.

 

Le réveil de mon songe fut brutal, saccadé, amer. Le temps de reprendre mes esprits en reposant celui qui m’avait envoûté, le sens de la vie reprenait l’unique, celui vers le Père-Lachaise, même si en ce moment je préférais la peau de mon canapé. Panne des sens, pas tant que ça. Les âmes étaient toujours là, avec moi. Heureux de me sentir habité, mon sommeil ne fut agité que par des chants, des danses, et des flammes du brasier de bois de cocotier sur cette plage inconnue qui me semblait tellement familière.

 

Je sais désormais que la vie est multidimensionnelle, et qu’il suffit d’un conducteur pour que votre âme ouvre sa porte aux autres, et se dire que la richesse, ce sont les autres. Nous ne sommes que de petits habitants d’un feu de bois de cocotier, mais la vie est et reste un feu magique. Buvez du rhum.

 

 

Janvier 2017

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